Digitale pourpre

Aug 21, 2021

Gamin, j'accompagnais mon père et mon grand-père à la cueillette des champignons dans les forêts domaniales de Touraine. Pendant qu'ils cherchaient cèpes, bolets et girolles, je me battais contre des armées imagimaires et je décimais les rangs ennemis de fougères aigles (Pteridium aquilinum) avec un bâton de châtaigner que m'avait taillé mon grand-père; je ne savais pas alors que "batteur de fougères" pouvait être un vrai métier.
Entre deux batailles, il m'arrivait de cueillir des fleurs sauvages pour ma mère. Une fois, j'ai montré à mon père un bouquet dont j'étais particulièrement fier. Sa première remarque fut: "tu feras attention de ne pas mettre tes doigts dans ta bouche tant que tu ne te seras pas lavé les mains." Puis, me montrant les digitales pourpres que je venais de ramasser, il m'expliqua que ces fleurs contenaient un poison mortel. La leçon porta et j'ai passé le reste de l'après-midi à ne plus penser qu'à me laver les mains pour me débarasser de la menace invisible. 
Beaucoup plus tard, après avoir rattrapé les études de pharmacologie que je poursuivais depuis plusieurs années, j'ai finalement compris la nature du danger; en l'occurence le mélange d'hétérosides cardiotoniques que contient la digitale pourpre, mais aussi d'autres du genre, notamment la digitale laineuse dont on extrait toujours les principes actifs.

Un hétéroside est une molécule hétérogène composée d'un sucre (oside) lié à une molécule qui n'en est pas un et qu'on appelle aglycone. Dans le cas des cardiotoniques de la digitale, l'aglycone est un phytostéroïde.

Ces cardiotoniques dont le plus connu est la digitaline (ou digitoxine) sont très utiles à un coeur fatigué. Ils augmentent sa force contractile et ralentissent son rythme, à condition d'être très soigneusement dosés; un dosage que seules la pharmacologie et la médecine sont capables d'établir et de contrôler. Autrement, à des doses qu'il est facile d'atteindre, ils sont dangereux et peuvent même être fatals sans les soins appropriés. 
Quand elles ne sont pas d'origine médicale, les causes d'intoxications aux digitaliques (quand même rares) viennent de la confusion que font les cueilleurs entre les feuilles de la digitale et celles de la consoude, une plante que certains consomment. S'il est difficile de préciser la quantité de digitale à ingérer avant de ressentir les premiers effets, on peut quand même dire qu'il n'en faut pas beaucoup (voir les deux cas ci-contre). Quelques cas d'intoxication par voie orale ont permis de déterminer des DTm (Dose toxique minimum ou Lowest published toxic dose [TDLo]) de 0,15 mg de digitoxine par kg de poids corporel chez l'enfant, de 0,071 à 0,286 mg/kg chez l'homme et de 0,3 à 0,4 mg/kg chez la femme.
Sachant que la quantité de glycosides totaux représente très approximativement 0,1 à 0,6 % ( x grammes pour 100 grammes) de la matière sèche des feuilles, que cette proportion varie selon les conditions de croissance de la plante (sol, température, ensoleillement, précipitation) et les saisons, et que la quantité de glycosides ingérée dépend de la façon dont la plante a été préparée (feuilles fraiches ou séchées, consommées telles quelles ou infusées, cuites ou non, etc.), on comprend qu'il est difficile de fixer la quantité de plantes que l'on peut utiliser sans risque. C'est d'autant plus vrai que l'index thérapeutique des digitaliques est étroit et que même les médicaments prescrits peuvent facilement entrainer des intoxications si la posologie n'est pas rigoureusement suivie.
Les symptômes de l'intoxication sont neurologiques (confusion, léthargie, fatigue, mal de tête) visuels (distorsion des couleurs, halo, photophobie, baisse de l'acuité visuelle), gastrointestinaux (nausée, vomissement, douleur abdominale) et cardiovasculaires (palpitations, bradycardie, hypotension, difficultés respiratoires).

Deux cas d'intoxication
Une femme de 55 ans est admise au service des urgences d'un hopital de Milan en raison d'un malaise généralisé se traduisant par de la faiblesse, de la fatigue, des nausées et des vomissements. Ses symptômes ont commencé 4 heures après avoir consommé une tarte salée faite maison avec une pomme de terre, un œuf et 5 feuilles d'une plante achetée un an auparavant dans une pépinière. Étiquetée comme de la bourrache (une plante comestible bien connue en Italie), elle s'est avérée être de la digitale poupre.
À Taïwan, à l'occasion d'une rencontre amicale avec ses voisins, une femme diabétique de 62 ans boit plusieurs gorgées d'une tisane qu'elle croit être faite à partir de feuilles de consoude. Les feuilles avaient été cueillies, la veille, par l'un de ses voisins dans un parc. Environ 4 heures plus tard, la femme se présente au service des urgences avec des nausées, des vomissements répétés, un engourdissement des bras et un mal de tête.

Sources:

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