Cher Journal,
je pense souvent à Barack Obama. Je pense à lui parce que de mon vivant je n'ai jamais vu un politicien aussi talentueux et j'imagine que je n'en reverrai pas d'autre avant la fin de ma vie. Il y a des gens de la génération de mon père qui ont vu René Lévesque au pouvoir. Je pense même que mon père l'a côtoyé de près dans les coulisses du pouvoir. Il existe de grands leaders et de ce que l'on me raconte, Lévesque était aussi très impressionnant. Ces hommes-là (je dis homme, mais t'as compris que ça pourrait être femme) nous enivrent de leur charisme, mais ce que je trouve le plus marquant, c'est qu'ils incarnent le progrès. Ils deviennent le bout de l'entonnoir d'immenses mouvements sociaux et ceux qui comprennent les complaintes des peuples sont ceux que j'admire le plus.
Ceux qui marchent en avant des manifs et sont suivis d'une foule qui aspire à mieux. Barack Obama avait compris comment moderniser socialement l'Amérique. Je suis en train de terminer la biographie de sa femme et les couloirs intimes de la Maison-Blanche y sont exposés. Les couloirs du travail aussi. On y comprend toute l'énergie et les heures insensées qu'il faut mettre pour faire progresser des dossiers politiques, pour changer des avis, pour désincruster les coins d'un pays que l'on croyait figés.
Sujet après sujet, il a tout remis sur la table. De l'accès à l'assurance maladie, au racisme gangrené, à l'accès aux armes, le tout en redressant le pays qui était à deux doigts d'un gouffre économique et en tuant Ben Laden. Le seul fait d'être un président noir faisait avancer ce pays bâti sur l'esclavage. Il aurait pu ne rien foutre du tout pendant 8 ans et sa seule présence en poste aurait été une avancée. Mais non, il aura choisi d'être compétent au-delà des attentes, sensible, près du monde, inspirant et par-dessus le marché: drôle.
Un sans-faute quoi. (Même en costard beige). Alors je pense à lui non pas simplement parce qu'il m'impressionne, mais parce que lorsque la vie fait mal, je me demande quel niveau de résilience est nécessaire, après avoir travaillé d'arrache-pied à moderniser un pays que l'on ne croyait pas capable d'évoluer, pour voir passer après soi l'incarnation du mal qui défait et place tous les pions même pour empirer ce que l'on avait guéri. Comment serre-t-on la main à Donald Trump, comment lui cède-t-on la place sur sa chaise, comment lui remet-on ce que l'on aime le plus au monde en sachant pertinemment qu'il va chier dans le salon que l'on a amoureusement décoré?
Ça me taraude parce qu'en vieillissant je hais constater que ces mouvements de temps existent. Que l'on a beau être compétent, être amoureux même dans sa démarche, on a beau y mettre le travail et toute la bonne volonté du monde... Un imbécile peut quand même, une fois ton temps révolu, venir s'asseoir à ta place. Piloter l'avion que tu avais tout bien recalibré, comme un orang-outan alcoolique.
Soupir. Je me sens bien petite devant cette constatation. Même si tu cultives amoureusement les fleurs de ton jardin, le rouleau-compresseur peut bien l'année d'après passer dessus et en faire un parking. Je ne sais pas encore où ranger cet effroi.
On est lundi, si ça se trouve, demain ça ira mieux.