Introduction : Une poudrière au centre des ambitions mondiales
La Syrie, depuis plus d'une décennie, est devenue le creuset des rivalités mondiales. Ses terres, marquées par des siècles d’histoire, sont aujourd'hui le théâtre d’une guerre qui transcende ses frontières. Enjeu de convoitises entre grandes puissances, ce pays incarne les tensions du monde au XXIe siècle. De ses alliances complexes à ses luttes internes, la Syrie est devenue le miroir des transformations d’un ordre mondial en mutation.
En Syrie, des organisations en mutation
L'organisation Hay'at Tahrir al-Sham au pouvoir actuellement, en janvier 2025, c'est la même entité en vérité qu'Al-Qaïda, puis Daesh, ou Jabhat al-Nusra, qui s'est métamorphosée tout en restant sous l'autorité d'Abu Mohammad al-Joulani. Si la dénomination évoluait, les actes de violence extrême — décapitations, massacres, atrocités — persistaient marquant la période 2012 - 2016. Malgré des accords de désescalade facilités par la Russie, avec le soutien de la Turquie et de l'Iran, ces périodes de terreur des groupes islamistes radicaux restent gravées dans les mémoires. Aujourd'hui, certains efforts cherchent à transformer l'image de cette organisation, mais les souvenirs des exactions commises continuent d'alimenter un malaise profond. En cette fin de décembre 2024, des violences ciblent de nouveau les membres et anciens membres de l'armée syrienne dans plusieurs régions sans qu’on sache s’ils sont le germe d’affrontements plus violents.
Après le retrait de l'armée syrienne des combats, l'ex-président Bashar al-Assad a été neutralisé. Depuis, il n'a ni été vu ni entendu, sauf à travers un enregistrement où il déclarait ne pas avoir fui mais avoir été conduit hors de Syrie par les Russes, apparemment depuis la base aérienne de Hmeimim, située au sud-est de Lattaquié. Cette base, opérationnelle depuis 2015, joue un rôle central dans les opérations militaires russes en coordination avec l'installation navale de Tartous. Cependant, les événements entourant son départ restent flous. Le 10 décembre 2024, Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a confirmé que Bashar al-Assad avait été accueilli en Russie et qu'il y était en sécurité. Des voix de ceux qui le connaissent estiment qu'il va tôt ou tard adresser un message à la population, mais il semble qu’il lui soit actuellement interdit de communiquer.
Il est devenu clair qu'un accord a été passé à un niveau supérieur, entre les Américains, les Russes et les Syriens, puis à un niveau international lors de la réunion à Doha le samedi 7 décembre 2024, impliquant en plus, les Turcs et les Iraniens. Les participants à cette rencontre ont décidé de se débarrasser de Bashar al-Assad. Il était prévu qu'une autre réunion ait lieu par la suite avec les autres pays arabes, ainsi avec l'Arabie Saoudite et l'Égypte, suivie d'un communiqué de tous les pays arabes. Ni cette réunion ni le communiqué n'ont eu lieu.
Dès le lendemain, la Turquie, par Hay'at Tahrir al-Sham a lancé une violente attaque à partir du nord-ouest de la Syrie, progressant rapidement sur le territoire. L'armée arabe syrienne a alors reçu l'ordre de se retirer et de rendre ses armes. Simultanément, Israël a envahi plusieurs zones stratégiques dans le sud de la Syrie, notamment le Golan, la Jabal al-Shaykh (جبل الشيخ), le mont Hermon en français, la plus haute montagne, 2 814 mètres, située à la frontière entre la Syrie, le Liban et Israël, qui joue un rôle stratégique dans la région ; ainsi que les monts Hermon 1, 2 et 3. Les forces israéliennes ont étendu leur contrôle sur presque 450 km2 dans le sud de la Syrie, incluant la vallée du Yarmouk reliant Deraa au plateau du Golan et Quneitra.
Israël a intensifié les bombardements sur toutes les infrastructures de défense syriennes, ciblant les dépôts d'armes, les radars, les structures de défense, ainsi que les aéroports et les avions qu'ils abritaient. Les ports syriens n'ont pas été épargnés : les navires militaires et les stocks d'armes y ont été systématiquement détruits. Cette campagne de destruction a été menée de manière minutieuse et ciblée.
En parallèle, Israël a pris pour cible les laboratoires de recherche militaire et scientifique, ainsi que toutes les structures de production susceptibles de contribuer à l'effort de guerre, qu'elles soient militaires ou civiles. Ce démantèlement systématique a complètement anéanti les capacités de défense de l'armée arabe syrienne, marquant une avancée significative des Israéliens en Syrie.
Exactions et ascension d'Abu Mohammad al-Joulani
Par ailleurs, Abu Mohammad al-Joulani est rentré en vainqueur à Damas. Abu Mohammad al-Joulani, de son vrai nom Ahmad Hussein al-Chara, est le chef de Hay'at Tahrir al-Sham (HTS), une organisation djihadiste active en Syrie, toujours unanimement classée comme terroriste par l'ONU, issue de l'ex-Front al-Nosra, lui-même affilié à Al-Qaïda. Avant son implication en Syrie, al-Joulani a combattu en Irak aux côtés d'Al-Qaïda, proche de son leader, Ayman al-Zawahiri.
En 2012, celui-ci l'envoie en Syrie pour superviser les opérations djihadistes, notamment celles du Front al-Nosra. Entre 2012 et 2014, son organisation a orchestré de nombreuses opérations terroristes à travers le pays, de Douma au nord de la Syrie. Parmi les atrocités attribuées à son groupe figurent les massacres à Daraya de 2012, où des civils ont été décapités, ainsi que les événements tragiques en 2013 à l'hôpital d'Adra, où médecins et infirmiers ont été assassinés de manière brutale. Les ouvriers d'Adra, eux, ont subi un sort tout aussi cruel, enfournés vivants.
On se souvient également du sort tragique de Muath al-Kasasbeh, pilote jordanien capturé par ce groupe, puis brûlé vif devant une caméra en janvier 2015. Ce crime avait suscité une vive indignation internationale. Al-Joulani fut l'organisateur de ces actions.
La métamorphose : de terroriste à leader-en-costard "accepté"
Autrefois recherché par les États-Unis, la prime de 10 millions de dollars sur la tête d'Abu Mohammad al-Joulani vient d’être annulée un trait de plume. Son image a radicalement changé, elle est méticuleusement reconstruite. L’homme au physique agréable, porte une belle barbe de hipster, le costume, et bénéficie du soutien actif des États-Unis et de la Turquie. Un gouvernement avec des membres de son groupe Hay'at Tahrir al-Sham a été formé sous son impulsion, marquant une étape vers une transition politique.
Al-Joulani est présenté par certains comme un dirigeant potentiel capable de gouverner la Syrie et de superviser la mise en place d'une nouvelle constitution. Initialement, celle-ci était prévue dans un délai de six mois, mais les élections correspondantes ont été reportées à quatre ans ou plus. Cette transition, soutenue par les Américains et les Turcs, semble avoir pour objectif d'assurer une occupation prolongée de la Syrie. Elle vise également à écarter toute influence iranienne et russe dans la région, consolidant ainsi des alliances stratégiques favorables à leurs intérêts géopolitiques.
Cependant, cette transition bien ficelée n'a pas empêché des exactions terribles dans plusieurs villes côtières syriennes, notamment à Jableh, Baniyas, Lattaquié et Tartous. La libération massive de prisonniers, y compris des criminels de droit commun, a encore aggravé la situation. Pour les populations civiles, la situation est dramatique. La violence omniprésente, l’absence de structures étatiques et le chaos sécuritaire compliquent chaque jour leur survie. Ces violences ont principalement visé la communauté alaouite, mais elles n'ont pas épargné d'autres minorités. Les forces islamistes qui ont pris le pouvoir sont loin de garantir la paix et la sécurité, particulièrement pour les chrétiens d’Orient, une communauté enracinée depuis deux millénaires dans cette région, berceau du christianisme. Les 200 000 chrétiens d’Orient qui subsistent encore en Syrie vivent sous une menace constante, illustrée par la destruction d’une des plus anciennes églises du pays, symbole de leur patrimoine religieux et culturel. Cette situation fait craindre une extinction imminente d’une communauté qui incarne 2000 ans d’histoire chrétienne au Moyen-Orient.
Parallèlement, les médias occidentaux ont largement relayé les fêtes organisées pour célébrer la chute du tyran Bashar al-Assad. Ces célébrations, portées en grande partie par la diaspora syrienne aux États-Unis, au Canada et ailleurs, sont liées aux Frères musulmans.
Une Syrie fragmentée sous influences multiples
La situation au nord de la Syrie reflète une fragmentation complexe sous des influences étrangères variées. Certaines zones carrefour, stratégiques, comme Mambej, ont été évacuées par les forces kurdes, tandis qu’à Idlib et dans l’ouest d’Alep, le contrôle reste fermement entre les mains de Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Par ailleurs, ce qu'on appelle l'Armée syrienne libre (ASL) n'est en réalité qu'une force opérant sous la tutelle de l'armée turque, qui a envahi et occupe une partie significative du nord de la Syrie.
Dans le nord-est, la zone est sous l’occupation des États-Unis, qui collaborent étroitement avec les Forces démocratiques syriennes (FDS). Bien que désignées comme "forces démocratiques syriennes", ces dernières ne sont ni véritablement syriennes ni démocratiques. Majoritairement dirigées par des cadres kurdes originaires de Qandil, une région montagneuse du nord de l’Irak, elles opèrent comme des mercenaires sous le contrôle des États-Unis, qui les financent, les entraînent et les dirigent. Cette dualité entre les ambitions locales et les interventions étrangères contribue à l’instabilité chronique et à l’éclatement du pouvoir en Syrie.
La Turquie et le contrôle d’Idlib : une mission détournée
Selon les accords d’Astana, la Turquie avait pour mission de surveiller et de contrôler les actions des groupes terroristes dans la zone d’Idlib. Ces accords stipulaient qu’Ankara devait empêcher ces groupes de se réarmer, de s’entraîner ou d’augmenter leur stock d’armes. Cependant, la réalité sur le terrain a été tout autre. Idlib, pratiquement sous contrôle turc, est devenue une zone où les groupes terroristes, en particulier Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ont prospéré. En 2019, cette organisation était réduite à un état quasi squelettique. Aujourd’hui, elle est de nouveau renforcée, bénéficiant de financements, d’armes sophistiquées et de forces nouvelles recrutées au-delà des frontières turques.
Ces renforts incluent des combattants tchétchènes, ouzbeks, ouïghours, tadjiks et autres originaires des anciennes républiques soviétiques, qui sont venus grossir les rangs de HTS. Contrairement à son rôle initial, la Turquie a directement contribué à leur renforcement. Ces groupes ont été dirigés, équipés en drones, certainement d'Ukraine, et entraînés sur le territoire turc, avec l’accord et le consentement des États-Unis. Cette collaboration s’inscrit dans un plan convergent, auquel participe également Israël, visant à déstabiliser et affaiblir durablement la Syrie.
Les sanctions : un outil d’étranglement
Parallèlement à ces actions, les États-Unis et leurs alliés ont imposé des sanctions économiques sans précédent à la Syrie. Ces mesures, appliquées de manière stricte, ont étranglé non seulement l’économie du pays mais également la vie quotidienne de sa population. Pendant quatorze ans, les sanctions ont empêché toute tentative de reconstruction, qu’il s’agisse d’établir de petites entreprises ou de développer des infrastructures pour fournir de l’électricité ou de l’énergie solaire. Les entrepreneurs syriens eux-mêmes, s’ils entreprenaient des projets en Syrie, se voyaient interdits de travailler à l’étranger, ce qui les dissuadait de s’engager dans des initiatives locales.
Ces sanctions, qualifiées d’inégalées par leur sévérité, ont asphyxié l’économie syrienne. Elles ont plongé la population dans une crise profonde, exacerbant les difficultés quotidiennes et paralysant la capacité du pays à se relever. Alors que la Syrie subit encore les conséquences de cette guerre économique et militaire, la collaboration entre la Turquie, les États-Unis et Israël illustre une stratégie conjointe pour maintenir la région dans une instabilité prolongée.
Israël et les Kurdes
Le 28 décembre, le ministère des Affaires étrangères israélien a publié une déclaration appelant à préserver les intérêts des Kurdes, qualifiés de « peuple civilisé » vivant dans le nord de la Syrie. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Gideon Sa’ar, lors d’une interview exclusive accordée au Jerusalem Post, décrit la Syrie comme un État fragmenté, dominé par des factions extrémistes et des dirigeants peu légitimes. Il a notamment qualifié le régime de Damas de « gang – non un gouvernement légitime » et critiqué les nouvelles autorités de la région d’Idlib, les accusant de poursuivre une politique islamiste extrême.
Sa’ar a également souligné l’importance pour la communauté internationale de soutenir les Kurdes, qu’il a décrits comme un groupe pro-occidental ayant joué un rôle crucial dans la lutte contre l’ISIS. Bien qu’Israël n’ait pas - encore - pris de mesures militaires directes en leur faveur, le ministre a insisté sur la nécessité morale et diplomatique de protéger leur autonomie face aux "menaces régionales".
Cette vision est catégoriquement rejetée par la Turquie opposée au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et à toute forme d’autonomie kurde. La présence militaire turque dans le nord de la Syrie vise précisément à empêcher toute création d’un État kurde à ses frontières. La Turquie accuse les Kurdes du nord de la Syrie d’être un instrument des États-Unis dans le pillage des ressources syriennes. Elle les soupçonne de faciliter le détournement du pétrole et des récoltes agricoles dans la région située entre le Tigre et l’Euphrate. Ce contrôle des ressources est perçu comme un élément clé des tensions, alimentant les accusations de collaboration avec les forces américaines présentes sur le terrain.
Les États-Unis ont récemment renforcé leur présence militaire dans le nord-est de la Syrie. Alors que Washington prétendait initialement ne déployer que 900 soldats, le nombre a été porté à 3 000, avec l’arrivée de renforts et de nouveaux équipements dans leurs bases. Cette augmentation s’inscrit dans une stratégie visant à consolider leur influence dans cette région stratégique.
Renforcement des forces israéliennes
Par ailleurs, Israël a mis en garde contre les dangers posés par l’extrémisme islamiste à ses frontières, exigeant des zones tampons pour garantir la sécurité nationale. Israël, de son côté, a poursuivi son avancée en Syrie, atteignant Qatana, en périphérie de Damas. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a affirmé que les forces israéliennes ne quitteraient pas les monts de Djabel al-Sheikh avant la fin de l’année 2025. Les tensions s’accentuent à, le point culminant de la région à 2 228 mètres d’altitude, stratégique pour son contrôle sur les réserves d’eau et sa visibilité sur la totalité des pays environnants, surplombant le Liban, le Jordanie, la Palestine, et jusqu’à la frontière irakienne. Ce sommet accueille désormais massivement du matériel d’espionnage électronique israélien installé pour surveiller l’ensemble de la région. Cette occupation constitue un danger pour les forces adverses au Liban, car elle permet un encerclement stratégique de ce pays par le sud désormais, en plus de l’ouest, et de l’est.
La Syrie, quelle souveraineté ?
Dès les premiers jours suivant la chute du régime Assad, Al-Jolani a été vu à bord d’un véhicule américain, à ses côtés, le chef des renseignements turcs, sur la banquette arrière se trouvaient côté à côté le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan et le ministre des Affaires étrangères du Qatar, pays qui a aussitôt annoncé l’ouverture imminente des pipelines de gaz transitant par la Syrie pour alimenter l’Europe via la Turquie, un projet que Bachar al-Assad avait refusé en 2011.
Installé dans le palais présidentiel, Al Joulani et son ministre des Affaires étrangères, le sombre Assaad Hassan el-Chibani recoivent un défilé de délégations étrangères, les occidentales en tête. Les États-Unis, la France, l’Union européenne et l’Arabie saoudite, l'Ukraine, se sont rendues à Damas pour discuter en théorie, de la reconstruction de la Syrie, avec en perspective la levée prochaine des sanctions et un retour des investissements internationaux.
La visite du chef de la diplomatie ukrainienne à Damas
Le chef de la diplomatie ukrainienne s'est rendu à Damas pour rencontrer Al-Joulani, une visite marquée par des demandes inédites sur le plan diplomatique. Lors de cette rencontre, il a explicitement demandé l'exclusion rapide des forces russes de Syrie, une démarche qui interpelle et semble confirmer les liens établis par la CIA entre les forces d'Al-Joulani, classées comme groupes terroristes, et le service de renseignement ukrainien. Ces relations incluraient l'encadrement, l'entraînement et la fourniture de drones.
Une grande partie des combattants ayant envahi la Syrie sont originaires d'anciennes républiques soviétiques, notamment l'Ukraine, l'Ouzbékistan et la Tchétchénie. Ces individus, désormais intégrés dans les rangs de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), jouent un rôle central dans la stratégie militaire locale. Par ailleurs, des drones ukrainiens ont été massivement utilisés, renforçant l'implication directe de l'Ukraine dans les dynamiques de la région.
Les conditions du soutien américain et européen
Les États-Unis, ainsi que certains pays européens, ont affirmé leur soutien à Al-Joulani, conditionné à l'élimination de la présence iranienne et russe en Syrie. Ce soutien s'inscrit dans un contexte d'accord tacite visant à remodeler la région, en accord avec les intérêts stratégiques occidentaux et turcs.
Dans ce cadre, des actions ciblées ont été menées, notamment la destruction du poste central d'émission des passeports et cartes d'identité en Syrie. Cet acte visait à anéantir les archives existantes et à récupérer des passeports syriens vierges. L'objectif sous-jacent est de faciliter l'attribution de la nationalité syrienne à des combattants étrangers, principalement ouzbeks, tchétchènes et ouïgours, dans une tentative apparente de modifier la démographie locale.
Le risque de "somalisation" de la Syrie
La question d’une éventuelle "somalisation" de la Syrie est souvent soulevée, notamment face à l’intensité des conflits internes et des confrontations multiples entre anciens membres du régime, troupes djihadistes, forces kurdes et l’État islamique qui tente de se réorganiser. Ce scénario, souvent interprété comme un objectif des forces extérieures, semble viser à maintenir un état de fragmentation et d’affaiblissement durable de la Syrie, en particulier pour nuire à un axe de résistance dans la région.
L’objectif de destruction de l’État syrien, dans sa forme historique, semble déjà réalisé. La Syrie a longtemps été la pierre angulaire non seulement d'un axe de la résistance, mais aussi de l’idéologie de l’unité arabe et du panarabisme. En détruisant ses infrastructures, son armée et ses capacités nationales, les acteurs extérieurs visent à éradiquer non seulement la souveraineté syrienne, mais également l’idée même de la nation arabe unifiée.
Cette volonté de rupture se reflète dans des aspects symboliques comme le drapeau syrien. Le drapeau actuel, adopté après l’indépendance en 1945, a évolué avec l’union éphémère avec l’Égypte au sein de la République arabe unie. Ses couleurs, partagées avec l’Égypte et le Yémen, incarnent un héritage du nationalisme arabe florissant qui prônait l’unité des peuples et des pays arabes pour en faire une force mondiale majeure. Revenir au drapeau de 1945, comme le souhaitent certains nouveaux dirigeants, est perçu comme une tentative de faire table rase de cette période historique et de diminuer la portée idéologique du panarabisme.
La Syrie a occupé une place unique dans l’imaginaire collectif arabe, souvent identifiée comme ‘Bilad al-Sham’, un terme qui signifie « le pays du Levant ». Historiquement, ce nom faisait référence à la Grande Syrie, englobant les territoires actuels de la Syrie, du Liban, de la Jordanie, de la Palestine et d’Israël. Ce terme a été largement utilisé à l’époque des premiers califats islamiques, notamment sous les Omeyyades (661-750), dont Damas était la capitale. Pendant cette période, Bilad al-Sham était une province majeure de l’Empire islamique, incarnant un héritage civilisationnel, religieux et culturel inestimable. Ce nom porte une connotation sacrée et symbolique forte, liée à l’héritage historique et spirituel de cette région dans le monde arabe. Elle représentait le cœur battant de l’arabité politique et un symbole central de l’unité arabe. Sa destruction dépasse donc le cadre matériel ou militaire : elle symbolise une attaque contre l’idée même d’unité et de résistance au sein du monde arabe. Cette dimension symbolique rend la question de sa "somalisation" d’autant plus cruciale, car elle met en jeu des enjeux culturels et historiques qui dépassent largement les frontières syriennes.
L'Iran et la Russie face à des reculs stratégiques
Malgré l'annonce par l'Iran de la réouverture de son ambassade en Syrie, ses bases militaires ont été détruites, principalement par des frappes israéliennes. La Russie, quant à elle, semble se redéfinir stratégiquement en Syrie. La base de Hmeimim reste opérationnelle, mais des rumeurs circulent sur son repositionnement en tant que centre d'aide humanitaire plutôt que base militaire. Poutine a déclaré que les objectifs initiaux en Syrie, à savoir la lutte contre le terrorisme, avaient été atteints, alors que la réalité sur le terrain suggère que des groupes qualifiés de terroristes aient désormais pris le pouvoir.
Un coup porté aux BRICS et à la Chine
La montée en puissance des BRICS et les alliances stratégiques établies entre les pays du Tiers-Monde, la Russie, l'Iran, et la Chine avaient suscité beaucoup d'espoir pour un nouvel ordre mondial multipolaire. L'Iran, devenu un acteur clé dans la région, et la Chine, avec ses ambitieux projets de la Route de la soie et de la Ceinture économique, incarnaient des piliers essentiels de cette dynamique. Cependant, l'offensive contre la Syrie orchestrée par les États-Unis, avec le soutien d'Israël sous la direction de Netanyahou, représente une attaque directe contre cette coalition émergente.
Cette offensive, menée pour reprendre le contrôle stratégique du Moyen-Orient, vise à enrayer la progression d'un ordre mondial alternatif centré sur l'Eurasie. En frappant la Syrie, les États-Unis et leurs alliés cherchent non seulement à affaiblir les BRICS, mais aussi à ralentir les ambitions chinoises en Eurasie, notamment son projet de stabilisation et de développement régional. Cette campagne constitue un coup violent porté à la coopération multipolaire et marque une tentative claire de verrouiller le Moyen-Orient, car contrôler cette région revient à influencer le contrôle mondial.
Le projet de la Route de la soie, qui prévoyait de connecter l'Eurasie et de renforcer son intégration économique, subit un revers significatif. Cette offensive contre la Syrie est donc autant une attaque militaire qu’une manœuvre géopolitique visant à saboter les initiatives chinoises, russes, et iraniennes dans leur quête d’un ordre mondial alternatif.
L’impact de cette stratégie reste à mesurer, mais elle reflète la volonté des États-Unis de contrer toute remise en cause de leur domination mondiale face à l’émergence d’une multipolarité croissante des centres de pouvoir économique et politique. Un exemple marquant de cette lutte réside dans la menace des BRICS de réaliser leurs échanges commerciaux en devises nationales plutôt qu’en dollars, une initiative qui affaiblirait considérablement la position du dollar en tant que monnaie dominante dans le commerce international. Cette tentative d’émancipation économique avait déjà suscité des avertissements de la part de Donald Trump, qui avait menacé de sanctions les membres des BRICS s’ils s’écartaient du système monétaire basé sur le dollar.
Conclusion : La Syrie, le verrou du Moyen-Orient, sauvera-t-elle le dollar ?
La Syrie, véritable verrou stratégique du Moyen-Orient, se retrouve au cœur de cette bataille géopolitique mondiale. En cherchant à contrôler cette région cruciale, les grandes puissances se disputent bien plus qu'un territoire : elles s'affrontent pour définir les rapports de force internationaux. La Syrie devient ainsi un creuset symbolique, reflétant la mise en abyme des relations internationales et des ambitions hégémoniques. Cette lutte pour la domination régionale dépasse largement les enjeux locaux et pose une question fondamentale : la Syrie deviendra-t-elle le théâtre où se joue l’avenir du dollar, symbole de l’hégémonie américaine, ou cédera-t-elle face à la redistribution émergente du pouvoir mondial ?
Un article de réflexion de de synthèse de https://x.com/margueritetruth
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