Présentation.
Traduction fidèle, inédite du texte latin en français.
Transcription du latin médiéval en latin classique.
Informations diverses
1. Présentation
Le Devastatio Constantinopolitana est un récit anonyme en latin qui traite de la Quatrième Croisade (1198-1204), en mettant l'accent sur le sac de Constantinople.
La Quatrième Croisade, initialement destinée à reconquérir Jérusalem, a été détournée vers Constantinople, une ville chrétienne, en grande partie sous la pression des Vénitiens. En 1204, les croisés assiégèrent et pillèrent la ville, marquant profondément l’histoire. Ce détournement de la croisade, influencé par des enjeux économiques et politiques, a empêché les croisés d’atteindre la Terre Sainte.
L’auteur y critique sévèrement l'exploitation des croisés modestes par les plus riches. Le texte dévoile les tensions internes, notamment l'influence des Vénitiens et les motivations économiques et politiques derrière l'attaque de Constantinople.
Ce texte exprime une profonde désillusion face à l’échec des objectifs religieux de la croisade, qui s’est soldée par la destruction de Constantinople, alors capitale de l'Empire byzantin, une entité chrétienne orthodoxe. Le sac de la ville en 1204 a exacerbé les divisions entre les Églises catholique et orthodoxe, augmentant ainsi les tensions entre ces deux branches du christianisme.
2. Traduction en français.
En l’an de l’Incarnation du Seigneur 1202, sous la présidence du Seigneur Innocent à la tête de l'Église romaine, tandis que Philippe et Othon se disputaient pour l'empire romain, le cardinal maître Pierre traversa les Alpes et prêcha la croix en Bourgogne, en Champagne, en France, et en Flandre. Par son autorité également, maître Fulco, homme de pieuse renommée, parcourut les régions voisines en prêchant.
Beaucoup de fidèles prirent la croix ; parmi eux, voici les premiers : l'évêque de Soissons, l'évêque de Troyes, l'abbé de Vaux, l'abbé de Loos, ainsi que cinq autres abbés de l'ordre cistercien ; le comte de Champagne, le comte de Saint-Paul, le comte de Blois, le comte de Flandre avec ses deux frères, les évêques allemands de Bâle et d'Halberstadt, l'abbé de Paris, le comte Bertold, et une multitude infinie de clercs, de laïcs et de moines.
Le comte de Champagne, après avoir tout préparé pour le départ, mourut ; son marquis reçut l'argent et tout l'équipement pour ce voyage, et jura qu'il accomplirait ce que le comte avait promis ; ainsi, il fut aussitôt choisi pour diriger l'armée. Le comte de Perche mourut avant de partir ; son frère, le seigneur Étienne, reprit sa croix. Maître Fulco, alors qu'il était prêt à partir, mourut également ; son immense fortune fut acceptée par le seigneur Eudes de Champagne et le châtelain de Coucy, avec l'autorité du roi de France et des sages, pour être dépensée dans les besoins de cette armée sacrée.
Cette armée, venue de diverses régions du monde, se rassemblait en Lombardie. Les Lombards, après avoir délibéré, édictèrent qu'aucun pèlerin ne pourrait être hébergé plus d'une nuit et que personne ne pourrait leur vendre de vivres. Ils les chassèrent de ville en ville. Le pape avait également ordonné que le passage se fasse à Venise. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils furent de même expulsés des maisons de la ville et placés sur l'île de Saint-Nicolas. Là, ils installèrent leurs tentes et attendirent le passage depuis les calendes de juin jusqu'aux calendes d'octobre. Le boisseau de blé se vendait cinquante sous. Chaque fois que les Vénitiens le voulaient, ils ordonnaient que personne ne sorte de ladite île pour emmener un pèlerin, et ils les dominaient en tout, comme des captifs. Une grande peur grandit parmi la population ; ainsi, beaucoup retournèrent dans leur patrie, d'autres se précipitèrent en Apulie vers d'autres ports et traversèrent la mer ; une petite partie resta, parmi laquelle la mortalité augmenta de manière prodigieuse, au point que les vivants avaient à peine la force d'enterrer les morts.
À la fête de sainte Marie-Madeleine, le cardinal Pierre arriva à Venise et réconforta tous les pèlerins par les exhortations de sa prédication, d'une manière admirable ; il renvoya dans leur patrie, avec des lettres, les malades, les pauvres, les femmes et toutes les personnes faibles. Cela fait, il s’en alla et retourna à Rome.
À l'Assomption de la bienheureuse Marie, le marquis rejoignit l'armée et fut confirmé comme chef de l'armée. Tous les barons lui prêtèrent serment. Le marquis et tous les barons jurèrent à Venise qu'ils resteraient à leur service pendant un an. Entre-temps, les navires furent préparés et chargés. Il y avait quarante navires, soixante-deux galères, et cent transporteurs de grande taille. Le départ eut lieu aux calendes d'octobre. Lorsque les navires quittèrent le port, le navire "Viola", appartenant au seigneur Étienne de Perche, fit naufrage. Les Vénitiens et les pèlerins, après avoir pris la mer, arrivèrent en Istrie ; ils forcèrent Trieste et Mugla à se rendre, et imposèrent des tributs à toute l'Istrie, la Dalmatie, et la Slavonie. Ils naviguèrent vers Zara, où un serment fut brisé. À la fête de saint Martin, ils entrèrent dans le port de Zara, et assiégèrent Zara de tous côtés, aussi bien par terre que par mer ; ils dressèrent plus de cent cinquante machines et catapultes, ainsi que des échelles, des tours en bois et une quantité infinie d'engins de guerre ; ils creusèrent aussi un tunnel sous le mur.
Lorsque cela fut vu, les habitants de Zara se rendirent le quinzième jour, avec la condition que seuls les habitants seraient épargnés et que tous leurs biens seraient remis à la propriété exclusive du duc de Venise. Le duc garda la moitié de la ville pour lui et les siens, et donna l'autre moitié aux pèlerins. La ville fut pillée sans aucune pitié. Le troisième jour après l'entrée à Zara, une révolte éclata entre les Vénitiens et les pèlerins, au cours de laquelle près de cent personnes furent tuées. Les barons prirent tous les biens de la ville pour eux-mêmes, ne laissant rien aux pauvres, qui souffrirent beaucoup de la faim et de la misère. Alors qu'ils réclamaient hautement contre les barons, ils obtinrent des navires pour les emmener à Ancône ; mille partirent avec permission, et plus de mille sans autorisation. Il y avait un édit stipulant que personne ne devait être extrait de l'armée. Parmi les bateaux qui les transportaient, deux firent naufrage. L'armée passa l'hiver à Zara. Les Vénitiens démantelèrent entièrement les murs et les maisons de la ville, de sorte qu'il ne restait pas une pierre sur l'autre. Alors que les navires étaient dans le port de Zara, trois grands navires coulèrent.
À la fête de la circoncision, un messager du roi Philippe arriva avec ses lettres, demandant au marquis et aux barons d’aider son beau-frère, l’empereur Alexis, dans ses affaires. Le marquis, avec tous les barons, lui prêta serment. Quand le peuple sut qu'ils allaient partir pour la Grèce, ils se réunirent et, après avoir formé une conspiration, jurèrent qu'ils n'iraient jamais là-bas. Alors, l'abbé de Vaux, le seigneur Simon de Montfort, et Enguerrand de Boves quittèrent avec une grande multitude de soldats et d'autres personnes, et en arrivant en Hongrie, ils furent honorablement reçus par le roi. Le jour des Rameaux, Rainald de Montmirail fut envoyé en mission en Syrie.
Le deuxième dimanche après Pâques, les navires commencèrent à quitter Zara. C'est à cette époque que l'empereur Alexis arriva d'Allemagne. Toutes les villes, cités et châteaux, depuis Raguse jusqu'à Corfou, le reçurent en paix. À Corfou, l'armée se rassembla ; à la Pentecôte, ils quittèrent Corfou — Baudouin, frère du comte de Flandre, y mourut — et ils arrivèrent avec succès à Constantinople, où toutes les îles se soumirent à lui sur leur passage.
Aux calendes de juillet, les navires arrivèrent à Constantinople et y accostèrent de force, malgré la résistance de l'empereur et de toute son armée. L'empereur s'enfuit avec ses hommes dans la ville, et nous l'assiégeâmes. Le huitième jour après la fête des apôtres Pierre et Paul, nous prîmes de force un château situé dans le port, en face de la ville, et très peu de ceux qui s'y trouvaient parvinrent à s'enfuir. Les pèlerins assiégèrent la ville par terre ; les Grecs les attaquèrent à plusieurs reprises, et il y eut de nombreux morts des deux côtés. Pendant ce temps, les Vénitiens attaquèrent la ville par la mer avec des machines, des catapultes, des balistes et des arcs. Dans cette bataille, de nombreux hommes périrent, tant parmi les Vénitiens que parmi les Grecs.
Alors, les Vénitiens dressèrent de remarquables échelles sur leurs navires, une par navire, et, en approchant leurs navires des murs, ils escaladèrent ces échelles, chassèrent les Grecs, mirent le feu, et brûlèrent une grande partie de la ville, qu'ils pillèrent ensuite. Ainsi, toute la journée se passa. La nuit venue, l'empereur rassembla tous ceux qu'il put et s'enfuit discrètement.
Le lendemain, les Grecs se rendirent, eux et la ville, aux mains des pèlerins. Les pèlerins, ayant ouvert les portes, entrèrent et, se rendant au palais royal appelé Blachernes, ils trouvèrent Cursac enchaîné et emprisonné, aveuglé par son propre frère qui l'avait mis là. Ils libérèrent Cursac et placèrent une couronne sur la tête de son fils Alexis, encore enfant. En reconnaissance de ce grand service, Alexis jura qu'il nourrirait toute l'armée, aussi bien les Vénitiens que les pèlerins, pendant un an. Il jura également que, si ceux-ci voulaient hiverner à Constantinople avec lui, il prendrait la croix au prochain mois de mars et partirait avec eux, avec tout ce qu'il pourrait rassembler. Il donna des otages pour garantir toutes ces promesses. Ainsi fut conclue la paix entre les Grecs et les Latins.
Or, à l’octave[1] de l’Assomption de la bienheureuse Marie, une querelle éclata entre les Grecs et les Latins. Les deux camps prirent les armes. Le nombre de Grecs augmenta ; les Latins cessèrent de combattre et, ne pouvant se défendre autrement, mirent le feu. En voyant cela, de nombreux soldats arrivèrent au secours des Latins et multiplièrent les incendies, détruisant et pillant presque la moitié de la ville. Les barons de l'armée intervinrent et rétablirent de nouveau la paix. Cependant, aucun membre de l'Empire romain ne fut autorisé à rester dans la ville.
Pendant ce temps, Alexis, le nouvel empereur, décida de poursuivre son oncle, qu'il avait déjà chassé de la ville, et il rassembla une grande armée de Grecs. Il distribua de nombreux dons et soldes, aussi bien aux cavaliers qu'aux fantassins de notre armée, afin qu'ils viennent avec lui. Le marquis lui-même partit avec lui, ainsi que le seigneur Henri, frère du comte de Flandre. Ils se rendirent donc à Andrinople.
Cependant, l'empereur ayant mal tenu sa promesse faite au seigneur Henri, celui-ci le quitta aussitôt et retourna à l'armée, ramenant avec lui de nombreux cavaliers et fantassins. Le marquis resta avec quelques chrétiens aux côtés de l'empereur. L'empereur parcourut alors toute la Grèce avec ses Grecs et les Latins qui étaient restés avec lui, et il fut universellement accueilli et approuvé par tous les Grecs, et tous les premiers hommes de Grèce se soumirent à lui.
Ensuite, l'empereur retourna à Constantinople avec toute son armée, où il fut reçu avec le plus grand honneur. Il commença à honorer les promesses qu'il avait faites aux pèlerins et aux Vénitiens, aussi bien en termes de vivres que d'or et d'argent. Cependant, le lundi suivant la fête « Ad te levavi », les Grecs se révoltèrent à nouveau contre les Latins à l'intérieur de Constantinople. Les Grecs se précipitèrent en armes, attaquant les Latins, tantôt les repoussant, tantôt fuyant eux-mêmes. Les barons de l'armée latine furent attristés par ce malheur et interdirent à quiconque de venir en aide à ceux qui avaient imprudemment pris les armes contre les Grecs. Le nombre de Grecs augmenta, et ils opprimèrent les Latins, capturant certains, les tuant sans pitié, brûlant les morts, ne faisant grâce ni à l'âge ni au sexe.
Enhardis par cela, les Grecs provoquèrent à nouveau les Latins ; avec leurs petites barques et bateaux, ils attaquèrent leurs navires. Ce que les pèlerins et les Vénitiens prirent mal, armant leurs galères et leurs barques, et attaquèrent les Grecs. Les Grecs prirent la fuite, et les Latins les poursuivirent jusqu'aux murs de la ville, en tuèrent beaucoup, et capturèrent de nombreux navires grecs dans le port, chargés de marchandises et de vivres. Le jour de la fête de saint Jean l'évangéliste, les pèlerins et les Vénitiens armèrent à nouveau leurs galères et leurs barques, et dès que le jour pointa, ils se trouvèrent dans le port de Constantinople, où ils capturèrent encore de nombreux navires ; de nombreux hommes furent tués des deux côtés.
Le jour de la circoncision du Seigneur, dans la première veille de la nuit, les Grecs rassemblèrent quinze de leurs navires, les remplirent de bois coupé, de poix et d'huile, y mirent le feu, et les dirigèrent en flammes vers les navires vénitiens pour les brûler. Un seul navire prit feu.
Le jour suivant l'Épiphanie, les Grecs sortirent de la ville à cheval. Le marquis, avec quelques hommes, leur fit face ; beaucoup de Grecs furent tués, et certains nobles furent capturés ; deux chevaliers et un écuyer du côté du marquis tombèrent. Pendant toute cette guerre, les Vénitiens, avec les pèlerins, parcoururent les deux rives du bras de mer avec leurs galères et barques, ramenant un butin infini ; ils détruisirent par le feu de nombreux bâtiments de chaque côté. Les pèlerins parcoururent les régions environnantes jusqu'à deux jours de marche, prenant beaucoup de butin, capturant des hommes, emportant des troupeaux et des troupeaux d'animaux, et tout ce qu'ils purent trouver, causant de grands dommages aux Grecs.
En voyant cela, les Grecs, réalisant que leur terre était détruite, capturèrent leur empereur et l'enfermèrent en prison, puis ils placèrent Murzuphle, l'auteur de cette grande trahison, à leur tête et le proclamèrent roi au palais de Blachernes. Pendant ce temps, la foule commune et les habitants de Sainte-Sophie élurent un autre roi, Nicolas, surnommé Macellarius. Murzuphle, ayant rassemblé toutes ses forces, assiégea Nicolas dans l'église de la bienheureuse Sophie, le captura finalement, le décapita, et régna seul.
Pendant ce temps, le seigneur Henri, frère du comte, avec de nombreux cavaliers et fantassins, se rendit à un château appelé Filea, qu'il prit, ramenant de là un butin considérable, tant en hommes qu'en autres biens. Cependant, lors de son retour, le susnommé Murzuphle lui avait tendu une embuscade avec quinze mille hommes ; et, après une bataille, il fut vaincu, de nombreux Grecs furent tués ; Murzuphle lui-même fut blessé, s’échappa de justesse, se cacha parmi les buissons, et perdit son cheval ainsi que tous les insignes impériaux : à savoir la couronne, la lance et une image de la glorieuse Vierge, qui avait l’habitude de précéder les rois au combat, toute faite d’or et de pierres précieuses. Avec cette victoire, le seigneur Henri retourna à l’armée. Murzuphle, quant à lui, revint de nuit dans la ville, et, sortant l’empereur Alexis de sa prison, il l’étrangla avec une corde.
Pendant ce temps, l'armée se préparait à attaquer la ville, et tous se réfugièrent avec leurs biens dans les navires, afin d'envahir la ville par la mer. Le vendredi avant la Passion du Seigneur, qui était le 5 des Ides d'avril, les navires s'approchèrent des murs et un assaut fut lancé ; de nombreux hommes, tant parmi les nôtres que parmi les Grecs, furent tués. Mais comme le vent nous était contraire et nous repoussait loin des murs, nous fîmes demi-tour et rentrâmes dans le port où nous étions auparavant, en attendant l'arrivée du vent du nord.
Le vent du nord commença à souffler la veille des Ides d'avril ; nous rapprochâmes de nouveau nos navires des murs et combattîmes les Grecs, les repoussant des murs, et nous entrâmes dans la ville. Ce fut un grand massacre parmi les Grecs. Comme ils continuaient à nous attaquer avec insistance, nous leur lançâmes du feu, et, grâce à ce feu, nous les repoussâmes. À la nuit tombée, Murzuphle s'enfuit avec quelques hommes. Le lendemain, tous les Grecs tombèrent aux pieds du marquis et lui remirent tout ce qu'ils possédaient. Alors, nous prîmes leurs demeures, et les Grecs fuirent la ville. Nous rassemblâmes tous les butins et profits en commun, et nous remplîmes de trésors trois grandes tours.
Alors, il fut question de choisir un nouvel empereur. Six hommes furent désignés de notre côté et six du côté des Vénitiens, avec le pouvoir d'élire l'empereur. Ces hommes se réunirent lors de l'octave de Pâques, et en présence de toute notre multitude et de celle des Vénitiens, ils élurent et nommèrent Baudouin, comte de Flandre, comme empereur. Il fut approuvé par l'armée, et le dimanche suivant, au chant du « Jubilate », il fut couronné. À ce moment-là, les Vénitiens occupèrent l'église de Sainte-Sophie, disant : « L'empire est à vous, mais nous prendrons le patriarcat. »
Un schisme éclata alors entre notre clergé et les Vénitiens ; notre clergé fit appel et réserva la prérogative de l'église de Sainte-Sophie au pape. Pendant ce temps, ils commencèrent à partager les biens en commun, et comme prélude, ils donnèrent vingt marques à chaque chevalier, dix marques à chaque clerc et sergent à cheval, et cinq marques à chaque fantassin.
[1] L'expression "à l'octave" dans un contexte religieux signifie le huitième jour après une grande fête chrétienne, c'est-à-dire la clôture des célébrations qui suivent cette fête. Ce terme vient du latin octava dies, qui signifie "huitième jour". Dans ce cas, "à l’octave de l'Assomption" fait référence au huitième jour après la fête de l'Assomption (le 15 août), qui était traditionnellement marqué par des célébrations supplémentaires dans l'Église. Cela correspond donc au 23 août.
3. Texte en latin.
DEVASTATIO CONSTANTINOPOLITANA
Anno ab incarnatione Domini MCCII, domino Innocentio Romanae ecclesiae praesidente, Phylippo et Ottone pro imperio Romano decertantibus, magister Petrus cardinalis transalpinavit in Burgundiam, Campaniam, Frantiam, Flandriam, nomen crucis predicavit. Cuius etiam auctoritate magister Fulco vir sancte opinionis finitimas regiones predicando circuivit. Multi fidelium crucem acceperunt ; inter quos hii sunt primi : Episcopus Swessionensis, episcopus Trecensis, abbas Vallensis, abbas Losensis, et alii quinque abbates Cisteriensis ordinis ; comes Campanie, comes S. Pauli, comes de Blois, comes Flandriae cum duobus suis fratribus, Theutonici episcopi Basiliensis, Halverstatensis, abbas Parisiensis, comes Bertoldus et infinita multitudo tam clericorum quam laicorum et monachorum. Comes Campaniae cum omnia necessaria praeparasset ad eundum, defunctus est, cuius marchio accepit pecuniam et totum apparatum viae illius, et iuravit quod ille voverat se executurum ; unde ductor statim exercitus est electus. Comes de Percha antequam iter arriperet, obiit ; cuius crucem dominus Stephanus frater eius accepit. Magister etiam Fulco cum esset in procinctu, mortuus est ; cuius infinitam pecuniam domnus Odo Campaniensis et castellanus de Colcith acceperunt auctoritate regis Frantiae et sapientum in opus huius sacri exercitus expendendam.
Hic ergo exercitus cum de diversis mundi partibus in Longobardia colligeretur, Longobardi habito consilio edictum fecerunt, ne quis peregrinum hospitaretur amplius quam per unam noctem, et ne eis victualia venderentur, et persecuti sunt eos de civitate in civitatem. Praeceperat quoque domnus papa passagium apud Venetias fieri. Quo cum venissent, similiter eiecti sunt de domibus civitatis, et positi sunt in insula beati Nicolai. Ibi fixis tentoriis expectaverunt passagium a Kalendis Iunii usque ad Kalendas Octobris. Sistanius frumenti L solidis vendebatur. Quocienscumque Venetis placuit, praeceperunt, ut nullus de praefata insula extraheret aliquem peregrinorum, et quasi captivis per omnia eis dominantur. Crevit autem timor magnus in populo ; unde multi in patriam redierunt, multi in Apuliam ad alios portus cucurrerunt et transfretaverunt ; minima pars ibi remansit, inter quos adhuc crevit mortalitas mirabilis, ita ut a vivis vix possent mortui sepeliri.
In festo beatae Mariae Magdalenae domnus Petrus cardinalis Venetias venit et omnes peregrinos exortatione suae praedicationis mirabili modo confortavit ; infirmos, pauperes et mulieres et omnes personas imbecilles in patriam cum suis litteris remisit. Hoc facto ipse recessit et Romam rediit. In assumptione beatae Mariae marchio ad exercitum venit et ductor exercitus est confirmatus. Barones ei omnes iuraverunt. Marchio et omnes barones Venetiis iuraverunt, se in auxilio eorum staturos per unum annum. Inter haec naves paratae sunt et oneratae. Fuerunt autem naves XL, galeae LXII, oxirii C. Cepit autem moveri Kal. Octobris. Cum de portu exirent, Viola navis domini Stephani de Percha periit. Veneti cum peregrinis ascendentes mare in Ystriam venerunt, Triestum et Muglam ad dedicionem compulerunt, totam Ystriam, Dalmatiam, Slaviniam tributa reddere coegerunt. Iadram navigaverunt, in qua iuramentum periit. In festo beati Martini portum Iadre intraverunt, Iadram ex omni parte tam in terra quam in aqua obsederunt, machinas et magnellos amplius quam CL erexerunt et scalas et turres ligneas et infinita bellica instrumenta ; murum etiam suffoderunt.
Quo viso, Iadrenses die quintadecima civitatem reddiderunt, ita ut solis personis salvis omnia sua ponerent in proprietate ducis Venetorum. Dux medietatem villae sibi et suis retinuit, aliam medietatem dedit peregrinis. Villam sine misericordia spoliaverunt. Tertio die postquam Iadra intrata est, orta est seditio inter Venetos et peregrinos, in qua seditione fere centum homines occisi sunt. Bona villae barones sibi retinuerunt, pauperibus nihil dederunt, pauperes egestate et fame maxime laboraverunt. Unde cum multum super barones clamarent, impetraverunt naves, quae ipsos in Anconam deferret ; et per licentiam mille discesserunt, praeter licentiam quoque amplius quam mille. Fuit enim edictum, ne quis de exercitu extrahere aliquem auderet. Ex exoriis autem quae istos portabant, duo perierunt. Exercitus apud Iadram hiemavit. Veneti muros et domos civitatis ita funditus eiecerunt, ut una super alteram non remaneret. Cum naves essent in portu Iadre, tres ex navigibus magnis perierunt.
In circumcisione venit nuntius regis Phylippi cum litteris eius, rogans marchionem et barones, ut sororium suum Alexium imperatorem in negotio suo adiuvarent. Marchio cum omnibus baronibus illi iuravit. Quod cum populus cognovisset, se videlicet in Graeciam iturum, convenerunt et facta conspiratione iuraverunt, se numquam illuc ituros. Unde abbas Vallensis et dominus Symon de Monteforti et Englerant de Boves recesserunt cum magna multitudine militum et aliorum, et venientes in Ungariam, a rege honorifice sunt suscepti. In palmis Rainaldus de Monmiral in legatione in Syriam missus est. Dominica secunda post pascha naves a Iadra coeperunt exire. Et ex eodem tempore venit Alexius imperator de Alemannia. Omnes villae, civitates et castella de Arraguso usque Corphu eum in pace receperunt. Apud Corphu congregatus est exercitus ; in pentecosten a Corphu recessit — Balduwinus frater comitis Flandriae ibi defunctus est — et feliciter Constantinopolim venit, et omnes insulae per viam illi servierunt.
In Kal. Iulii naves Constantinopolim venerunt et vi applicuerunt, imperatore cum toto suo exercitu contradicente. Imperator cum suis fugit in civitatem, nos civitatem obsidemus. In octava apostolorum Petri et Pauli castrum quod erat in portu ex opposito civitatis, vi cepimus, et vix aliquis eorum qui erant in castro, aufugit. Peregrini ex parte terrae civitatem obsederunt ; Greci multoties cum eis sunt congressi, et ex utraque parte multi ceciderunt interfecti. Interim Veneti ex parte maris civitatem infestaverunt per machinas et magnellos et balistas et arcus. In hac acie etiam mortui sunt multi, tam Venetum quam Grecorum. Tunc Veneti scalas mirabiles in navibus suis erexerunt, in qualibet navi unam, et applicantes naves ad murum, per easdem scalas intraverunt, Grecos fugaverunt et ignem miserunt, et magnam partem civitatis combusserunt et spoliaverunt, et sic totum diem illum expenderunt. Veniente nocte, imperator collectis omnibus quos potuit habere, furtim fugit. Die autem sequenti Greci se et civitatem reddiderunt in manus peregrinorum. Peregrini portis apertis intraverunt, et venientes in pallatium regium quod dicitur Plachernum, Cursac in vinculis et carcere invenerunt, quem exoculatum frater ipsius ibi posuerat. Cursac liberaverunt, et filio eius Alexi puero coronam imposuerunt. Pro hoc magno beneficio Alexius iuravit, quod per unum annum totum pasceret exercitum, tam Venetos quam peregrinos. Iuravit etiam, quod si apud Constantinopolim secum hiemare vellent, ipse in proximo Martio venturo cum ipsis pergeret, accepta cruce cum omnibus quae habere posset. De his omnibus premissis obsides dedit. Ita facta est concordia inter Grecos et Latinos. Contigit autem in octava beate assumptionis Marie, quod orta est rixa inter Grecos et Latinos. Ex utraque parte convolaverunt ad arma. Crevit multitudo Grecorum ; Latini cessarunt, et cum se aliter defendere non possent, ignem apposuerunt. Hoc viso, multi de exercitu advenerunt in auxilium Latinorum, et ignem multiplicaverunt, et fere mediam partem civitatis destruxerunt et spoliaverunt. Barones exercitus partes suas interposuerunt et iterum pacem fecerunt. Nullus tamen qui de Romano imperio esset, infra civitatem remaneret.
Nec etiam illi qui omnibus diebus vitae suae ibi habitaverant. Et factus est ex omnibus unus exercitus.
Interea Alexis novus imperator cogitavit persequi patruum suum, quem ipse iam fugaverat de civitate, et magnum exercitum de Grecis congregavit. Multa etiam dedit donativa et soldos, tam militibus quam peditibus nostri exercitus, ut cum eo venirent. Ipse quoque marchio ivit cum eo et domnus Heinricus frater comitis Flandriae. Itaque venerunt Andropolim. Cum autem imperator male persolvisset quod promiserat domno Heinrico, ipse statim relicto eo rediit ad exercitum et reduxit secum multos tam militum quam peditum. Marchio remansit cum paucis Christianis cum imperatore. Itaque imperator cum Grecis suis et cum eisdem Latinis qui cum imperatore remanserant, totam Greciam perambulavit, et ab omnibus Grecis universaliter est receptus et approbatus, et omnes primi Greciae hominum ei fecerunt.
Deinde cum toto suo exercitu imperator Constantinopolim revertitur et cum maximo honore suscipitur, et quae promiserat peregrinis et Venetis cepit persolvere, tam in victualibus quam in auro et argento. Accidit autem secunda feria post « Ad te levavi », quod Greci iterum contra Latinos in seditionem versi sunt infra Constantinopolim. Concurrunt Greci, faciunt insultum in Latinos, modo fugant modo fugiunt. Barones exercitus Latini de hoc malo contristantur ; prohibent, ne quis ad auxilium illorum transeat, qui tam temere contra Grecos arma moverant. Crevit itaque multitudo Grecorum, Latinos opprimunt, captos sine misericordia occidunt, occisos igne comburunt, nec etati nec sexui parcunt. Ex hoc facti Greci animati Latinos iterum provocant, cum naviculis et barculis suis naves eorum impetunt. Quod peregrini et Veneti moleste ferentes, galias et barcas armant, Grecos impetunt. Greci fugiunt, Latini usque ad murum civitatis Grecos persequuntur, multos occidunt, multas naves Grecorum in portu accipiunt multis mercibus oneratas et victualibus. In die beati Iohannis evangelistae iterum peregrini et Veneti galias armant et barcas, et die iam lucescente sunt in portu apud Constantinopulim, et multas iterum naves capiunt ; multi iterum hinc inde occiduntur.
In die circumcisionis Domini in primo sompno Greci quindecim naves de suis congregant, et illas lignis conscisis, pice et oleo impleverunt, et sic ignem apponentes, et sic ardentes usque ad naves Venetorum dirigunt, ut eas sic igne comburerent. Una tantum navis arsit. Sequenti die post epiphaniam Greci in equis exeunt de civitate. Marchio cum paucis illis occurrit ; multi ex Grecis occisi sunt, et quidam ditissimi capti ; duo milites et unus scutifer ex parte marchionis cadunt. Toto etiam tempore huius guerrae Veneti cum peregrinis utramque ripam Brachii perambulant cum galiis et barcis et infinitas reducunt predas ; multa edificia ex utraque parte igne destruunt. Finitima loca in circuitu usque ad duas dietas peregrini circuierunt, predas multas acceperunt, homines capiunt, armenta et greges et omnia quae invenire possunt, secum portant et multa damna Grecis faciunt. Hoc videntes Greci, se scilicet et terram destrui suam, imperatorem suum capiunt et in carcerem retrudunt, et Morsolfum huius proditionis magne auctorem sibi preficiunt et regem constituunt in palacio Blacherni. Interea plebs communis et vulgus de Sancta Sophia alium sibi regem eligunt Nicolaum cognomine Macellarium. Hunc Morsolfus congregatis totis viribus suis in ecclesia beatae Sophiae [obsedit], et tandem cepit et decollavit, et solus regnare cepit.
Interea etiam dominus Heinricus frater comitis cum multis tam equitibus quam peditibus ad castrum quoddam quod Filea dicitur perrexit, et illud cepit, et maximam inde predam reduxit, tam in hominibus quam in aliis rebus. Cum autem reverteretur, predictus Morsolfus cum quindecim milibus illi insidias posuerat ; et congressus pugnavit cum illo, et victus est, et plurimi Greci occisi sunt ; et ipse Morsolfus vulneratus est, et vix aufugit, et latuit inter spinas et perdidit equum et omnia imperialia, coronam scilicet et lanceam et quandam ymagnem gloriosae Virginis, quae semper solebat reges precedere in bello, tota de auro et lapidibus preciosis. Cum hac victoria rediit dominus Heinricus ad exercitum. Morsoflus quoque de nocte reversus est in civitatem, et extrahens Alexium imperatorem de carcere, laqueo strangulavit.
Interea exercitus preparatur ad impugnandam civitatem, et omnes se et sua omnia receperunt in naves, ut navibus invaderent civitatem. In sexta feria ante passionem Domini, quae fuit Idus Aprilis quintô, naves producunt ad muros, et assultum faciunt, et multi tam ex nostris quam ex Grecis occisi sunt. Quia vero ventus nobis erat contrarius, qui nos a muris repellebat, retro abeuntes portum in quo antea fuimus intravimus, et adventum boreae expectavimus. Flare coepit boreas pridie Idus Aprilis ; nos iterum naves ad muros applicavimus et cum Grecis dimicavimus et a muris eos repulimus, et intravimus civitatem ; et facta est maxima cedes Grecorum. Qui cum importune nobis instarent, ignem misimus, et per ignem eos replimus a nobis. Veniente nocte Morsolfus fugit cum paucis. Sequenti die Greci omnes ceciderunt ante pedes marchionis, et se et sua omnia in manus eius reddiderunt. Tunc hospicia accepimus, et Greci a civitate fugerunt. Omnia spolia et lucra nostra in commune portavimus, et maximas tres turres argento implevimus.
Tunc tractari cepit de imperatore constituendo. Constituti sunt sex ex parte nostra, et sex ex parte Venetorum, quibus data est potestas eligendi imperatorem. Isti convenientes in octava paschae, coram omni multitudine nostra et Venetorum eligunt et nominant imperatorem Balduwinum comitem Flandriae, qui ab exercitu approbatus est, et proxima dominica sequente qua canitur « Iubilate », est coronatus. Eodem tempore Veneti occupaverunt ecclesiam beatae Sophiae, dicentes : « Imperium est vestrum, nos habebimus patriarchatum . » Factum est scisma inter clerum nostrum et Venetos ; clerus noster appellavit, et preordinationem ecclesiae beatae Sophiae domino papae reservavit. Interea ceperunt communia dividere, et quasi quaedam preludia viginti marcas unicuique militi dare, clerico et servienti equiti decem marcas, pediti quinque marcas[i].
[i] Marcas désigne une monnaie utilisée à cette époque, notamment en Europe du Nord et dans l'empire romain germanique. Elle avait une valeur importante, et les montants décrits ici semblent correspondre à des allocations financières (20 marques pour les chevaliers, 10 pour les clercs et sergents, 5 pour les fantassins).
4. Informations diverses
plus d'informations (EN) sur le document :
https://en.wikipedia.org/wiki/Devastatio_Constantinopolitana
Pour le contexte, un article remarquable : Le sac de Constantinople : l'or de Byzance
13 avril 1204 : la quatrième croisade s'est détournée vers la riche ville sainte des Grecs, pillée pendant trois jours par les croisés. Pour la première fois, des chrétiens tuent des chrétiens, et la plaie n'est toujours pas refermée.
NB : Les images présentées sont des créations personnelles générées par prompt sur AI, sur le thème pour illustrer le projet.