L’homme chérit la liberté — du moins son idée. Il la place au sommet de ses valeurs, l’invoque dans ses serments, l’érige en emblème de civilisation. Rien ne lui semble plus naturel, plus consensuel. Pourtant, dès qu’elle cesse d’être un principe pour devenir une exigence, elle effraie. Car la liberté réelle ne se rêve ni ne se proclame : elle s’assume et s’incarne. À cet endroit précis, il choisit le repli plutôt que le risque. Ce qu’il célèbre en théorie, il l’esquive en pratique. Entre le désir d’être libre et la responsabilité que cela implique, il y a un abîme.
Découvrez que l’homme n’aime pas la liberté, mais qu’il la redoute ! Cette vérité nue tranche avec les récits héroïques qui enracinent notre mémoire collective. On célèbre les insurgés, on récite les noms de ceux qui ont dit non, mais l’histoire, en masse, est une longue procession d’acceptation. Partout, les peuples lourds courbent l’échine, sans même qu’on les y contraigne. Ce n’est pas l’oppression qui triomphe, c’est l’adhésion silencieuse.
Ce réflexe n’est pas accidentel : il répond à un besoin fondamental, celui de fuir l’instabilité, d’échapper à l’insécurité. Car la liberté n’est jamais donnée — elle s’arrache, au prix de l’effort, de l’exposition, du risque. Elle suppose la rupture, le conflit, la solitude du choix. L’autorité, à l’inverse, dispense d’agir, d’interroger, de se compromettre. Elle offre un cadre, un récit, un ordre — autant de repères auxquels l’individu se raccroche. À ce prix, il abdique, mais trouve dans cette soumission un apaisement rassurant.
Dès l’enfance, on habitue l'homme à obéir. Il s’y plie par crainte, par confort, par simple habitude. Peu à peu, la matrice devient son horizon naturel. À force de courber l’échine, il oublie qu’il pourrait se redresser. Ce n’est plus la brutalité du pouvoir qui impose sa loi, mais la docilité du sujet qui la rend superflue.
Les preuves sont accablantes. Des expériences célèbres l’ont démontré : face à une autorité, même absurde, la majorité exécute aveuglément. La conscience morale s’efface. Mieux vaut, pour elle, exécuter sans comprendre que choisir en tremblant.
On invoque les révoltes, les révolutions. Elles jalonnent l’histoire, incontestablement. Mais aussi nombreuses soient-elles, elles restent l’œuvre de minorités actives, souvent isolées, parfois récupérées. Ce qui frappe, ce n’est pas tant leur existence que leur échec à modifier durablement l’inclination majoritaire vers la soumission. Elles impressionnent parce qu’elles interrompent un cours — pas parce qu’elles le redéfinissent.
La vérité est froide : la liberté exige trop. Trop d’effort, trop de lucidité, trop de responsabilité. L’homme ordinaire n’en veut pas. Il la loue en théorie, la fuit en pratique. Ce n’est pas une trahison de l’idéal, c’est une stratégie de survie.
Mais cette apathie n’est pas irréversible. On ne sort pas du troupeau par la peur ou la morale, mais par la fascination. Tant qu’aucun projet de société n’offre une promesse plus haute que la sécurité servile, rien ne changera. Il ne suffit pas de dénoncer la soumission ; encore faut-il proposer une alternative qui éveille, qui aimante, qui donne envie de reprendre son destin en main.
Ce qui est nécessaire aujourd’hui, ce n’est pas une révolte — mais une Vision. Un homme capable de penser au-delà du monde tel qu’il est, et de convaincre qu’un autre est possible. Un nouveau Socrate, non pour mourir, mais pour réveiller. Non pour accuser, mais pour séduire. D’ici là, les chaînes aux pieds s’alourdissent — mais dans les têtes, elles semblent légères. Et la liberté, une âme morte.
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Signé Marguerite - Avril 2025
Références philosophiques utilisées
1. Thomas Hobbes – La sécurité contre la liberté
Léviathan (1651)
Hobbes développe l’idée d’un contrat social par lequel les individus renoncent volontairement à une part de leur liberté naturelle en échange de la sécurité assurée par un pouvoir centralisé. Cette conception éclaire les comportements humains face au pouvoir : la peur du chaos pousse à accepter l’autorité, même lorsqu’elle devient oppressive.
2. Jean-Jacques Rousseau – La contrainte comme fondement du politique
Du Contrat social (1762)
Rousseau distingue la liberté naturelle de la liberté civile, acquise par l’adhésion à une loi commune. Il met en garde contre le danger d’un détournement de la « volonté générale », lorsque les contraintes collectives, une fois intériorisées, peuvent servir un pouvoir oppressif dissimulé sous l’apparence du bien commun.
3. Michel Foucault – Le contrôle par la discipline
Surveiller et punir (1975)
Foucault analyse les mécanismes modernes de pouvoir, fondés sur la surveillance, l’auto-contrôle et la normalisation des comportements. Il décrit une société disciplinaire dans laquelle les dispositifs de contrôle sont acceptés, intériorisés, et donc d’autant plus efficaces. Cette analyse permet de penser une forme de soumission non imposée mais spontanément adoptée.
4. Erich Fromm – Le refus de la liberté
La Peur de la liberté (1941)
Fromm avance que la liberté suscite chez l’individu une angoisse existentielle, car elle implique la responsabilité de soi. Nombreux sont ceux qui, pour fuir cette angoisse, préfèrent se soumettre à une autorité, trouvant dans l’obéissance une sécurité rassurante. La liberté cesse alors d’être un idéal vécu pour devenir une abstraction redoutée.
5. Herbert Marcuse – L’aliénation confortable
L’Homme unidimensionnel (1964)
Marcuse examine la manière dont les sociétés capitalistes avancées engendrent une forme d’aliénation douce, par la consommation et le confort matériel. Le citoyen, rassasié de biens, accepte sans résistance les restrictions tant qu’elles garantissent son mode de vie. Le contrôle devient désirable car enveloppé dans le discours du progrès ou du bien-être.
6. Hannah Arendt – La soumission sans malveillance
Eichmann à Jérusalem (1963) – concept de la « banalité du mal »
Arendt montre que le mal peut résulter d’une obéissance banale, sans conscience ni volonté de nuire. L’individu cesse de juger non par cruauté, mais par conformisme, paresse ou absence de pensée. Elle met en lumière les dangers d’une obéissance passive, dans laquelle le pouvoir se perpétue sans être questionné.