Chapitre 6
La langue et l'écriture chinoise
La langue chinoise est extrêmement ancienne. Elle est même considérée comme une des soixante-douze premières langues apparues à l'époque de la tour de Babel, selon certains récits. Les documents historiques montrent qu'elle est utilisée depuis plus de 3600 ans. La langue chinoise n'est pas la même partout en Chine ; elle change selon les anciens royaumes qui composent aujourd'hui ce grand empire. Avant, ces régions n'étaient pas réunies sous un seul gouvernement et étaient habitées par des peuples souvent vus comme barbares, surtout dans le sud et dans certaines zones du nord.
L'unification des provinces a conduit à l'adoption d'une langue commune, désormais connue sous le nom de « guānhuà » (une ancienne variante de la langue mandarine utilisée par les fonctionnaires gouvernementaux), équivalente au latin en Europe par son usage mais plus répandue. Malgré cette langue commune, chaque province a maintenu sa propre langue spécifique.
La langue officielle chinoise est assez limitée en mots mais riche en caractères : elle compte environ 326 mots qui peuvent créer 1228 expressions différentes grâce à l'usage des tons et des fins de mots, souvent en voyelles, M ou N. Tous ces mots sont monosyllabiques et ne changent pas de forme, que ce soient les noms ou les verbes, et on utilise souvent un mot pour plusieurs fonctions, comme un nom utilisé comme un verbe. Cela rend le chinois plus simple à apprendre que le latin, dont l'étude de la grammaire peut prendre beaucoup de temps. Mais cette concision peut aussi causer des ambiguïtés. Certains pourraient ne pas aimer cette manière de parler, qui est pourtant très appréciée en Chine, où l'on préfère un style de communication direct, semblable ou peut-être inspiré par celui des Lacédémoniens (Spartiates). La prononciation est généralement douce, et à des endroits comme Nankin, une bonne élocution est particulièrement agréable à écouter.
La langue chinoise dispose d'un grand nombre de mots d'un grand raffinement pour parler d'une personne avec respect, honneur et humilité, une caractéristique qui est aussi très appréciée en portugais. Malgré leur tendance à utiliser peu de mots, comme je l'ai mentionné, je trouve leur manière de s'exprimer parmi les plus agréables. Là où en français on doit répéter le verbe « prendre » pour préciser comment on saisit quelque chose, les Chinois utilisent un mot unique pour indiquer à la fois l'action et la manière de la réaliser. Par exemple, « nien » signifie saisir avec deux doigts, « tzò » avec tous les doigts, « chuà » avec une main fermée, et « tuè » avec la main ouverte. De même, là où nous utilisons le verbe « être » de différentes manières (être au lit, à table, chez soi), en chinois, un seul mot suffit pour communiquer l'état et la manière d'être. Pour parler de « pied », nous répétons ce terme pour l'homme, l'oiseau ou l'animal, mais en chinois, un mot spécifique est utilisé pour chacun : « kiò » pour le pied d'un homme, « chuà » pour celui d'un oiseau, et « thi » pour le pied d'un animal.
On tient que Fohi, l'un des premiers rois du pays, les inventa. Au commencement le nombre n'en était pas si grand qu'il est à présent, outre qu'elles étaient plus simples, et représentaient en quelque manière, par leur figure la chose signifiée par leur prononciation. Ainsi la lettre qu'on nomme « gè », qui signifie le Soleil, se formait comme un cercle avec une ligne diamétrale par le milieu : depuis on a changé le cercle en un carré, retenant la même ligne et la signification.
Ce changement a causé quatre sortes de lettres : dont la première et la plus ancienne que tous les lettrés doivent savoir, se trouve encore dans les vieilles bibliothèques, mais elle n'est plus en usage, si ce n'est aux titres, cachets, devises et armoiries.
L'autre, nommée « chincu », est la plus usitée soit à la plume, soit à l'impression.
La troisième, qu'ils appellent « taiprè », répond à la lettre courante de nos notaires, dont ils se servent seulement pour les cédules, contrats, obligations, et autres actes de justice.
La quatrième est tout à fait différente des autres, tant pour le grand nombre des abréviations que pour la diversité des traits, qui demandent une étude particulière pour en avoir l'intelligence. La dernière catégorie de caractères est connue sous le nom de « sie », ce qui peut se traduire par « exprimer sa gratitude ». Cette catégorie se distingue par sa complexité, avec des abréviations nombreuses et des traits variés, et existe sous trois formes distinctes.
En général, le système d'écriture chinois comprend jusqu'à soixante mille caractères, organisés dans un dictionnaire appelé « haipien », ce qui pourrait être traduit par « la grande mer des lettres ». Il existe un autre dictionnaire, plus condensé, destiné à la lecture, à l'écriture, à la composition et à la compréhension des textes, qui contient seulement huit à dix mille caractères au maximum. Lorsqu'ils rencontrent des caractères moins familiers, qu'ils appellent « froids », ils consultent leur grand dictionnaire, à l'instar de notre manière de chercher la signification de mots latins inconnus. On peut dire que dans la culture chinoise, un lettré est d'autant plus respecté qu'il connaît un grand nombre de caractères, tout comme une personne maîtrisant un large vocabulaire latin est estimée chez nous. Ce qui est remarquable, c'est qu'ils utilisent seulement neuf traits de base pour créer cette immense variété de caractères. Ils modifient ces traits par l'ajout de formes ou par la combinaison de caractères, ce qui altère complètement leur apparence et leur signification.
Par exemple, un trait simple (—) représente le chiffre un ; croisé par une ligne perpendiculaire (+), il signifie dix ; ajouté d'une ligne à sa base, il symbolise la Terre ; et avec une troisième ligne en haut, il désigne un roi. Un point sur le côté gauche du trait supérieur évoque une pierre précieuse ; ce même point placé au milieu signale une perle. Généralement, les caractères relatifs aux pierres précieuses intègrent cette forme particulière, tout comme ceux désignant différentes sortes d'arbres et de métaux, tels que le fer, le bronze et l'acier, sont dérivés de caractères représentant le bois et le métal.
Cette règle n'est cependant pas absolue : lorsqu'ils créent des caractères composés, ils prennent aussi en compte la signification des caractères simples. Par exemple, le caractère carré signifiant soleil, dont j'ai parlé précédemment, combiné avec un autre très similaire signifiant lune, forme un nouveau caractère, « min », qui désigne la clarté. Pour représenter une porte, ils utilisent un caractère spécifique, « muen », et un autre évoquant un cœur pour parler du cœur lui-même. Pour exprimer la tristesse ou l'affliction, ils placent le symbole du cœur à l'intérieur de celui de la porte, illustrant ainsi un cœur tourmenté comme s'il était coincé à l'entrée d'une porte étroite. Puisque la tristesse prend racine dans le cœur, le symbole du cœur est souvent associé à d'autres caractères liés à la tristesse.
La valeur accordée aux bons écrivains est immense : une belle écriture est plus appréciée qu'une œuvre d'art remarquable, et ils sont prêts à investir considérablement pour acquérir une page de caractères anciens bien formés. Leur respect pour l'écriture est tel qu'ils ne supportent pas de voir un papier écrit par terre sans le ramasser immédiatement ; et dans les écoles, il existe un endroit réservé pour les rassembler avant de les brûler. Cette pratique n'est pas motivée par la superstition, à la manière des Turcs, mais par un profond respect pour l'écriture.
Leur technique d'écriture est de haut en bas, de la droite vers la gauche, similaire à celle des Hébreux et d'autres peuples orientaux.
Historiquement, les Chinois utilisaient des écorces d'arbre comme support d'écriture, à l'instar de certains peuples, et employaient un stylet ou un poinçon en fer pour écrire avec précision. Les plaques métalliques qui subsistent et que les maîtres conservent précieusement attestent également de leur pratique de l'écriture sur métal. Cependant, il y a environ huit cents ans, ils ont développé l'utilisation du papier et produisent aujourd'hui une grande variété de papier, y compris des qualités très fines. On peut affirmer que la Chine, à elle seule, possède plus de papier que le reste du monde. Le papier le plus couramment utilisé, notamment pour l'impression, provient d'un arbre que les Indiens appellent « bombù » et les Chinois « ciò », similaire au bambou. Quant au papier de meilleure qualité et le plus blanc, il est fabriqué à partir de toile de coton.
Pour écrire, les Chinois utilisent des pinceaux fins fabriqués à partir de poils d'animaux, les meilleurs étant en poils de lièvre, considérés comme bien plus pratiques que nos plumes traditionnelles. Les pinceaux standards sont vendus entre trois et cinq quatrins, tandis que les plus qualitatifs coûtent un iule. Leurs porte-plumes, de forme ronde ou carrée, sont sculptés dans une pierre dure avec grande habileté. Bien que la plupart ne soient pas excessivement chers, certains peuvent atteindre le prix de trente écus. L'encre qu'ils emploient est solidifiée en petites boules. Il existe plusieurs qualités d'encre, mais la plus raffinée est produite à partir de suie d'huile collectée avec soin, vendue une livre au prix d'un écu, ou quinze iules, tandis que l'encre de la plus haute qualité peut coûter jusqu'à vingt écus. Ils utilisent également de l'encre rouge, surtout pour les titres et les inscriptions sur les livres. L'art de l'écriture est si respecté en Chine que même les fabricants d'encre ne sont pas considérés comme de simples artisans. De même que nos meilleurs soldats et capitaines valorisent l'entretien de leurs armes, symboles de leur gloire, les lettrés chinois aspirent à posséder des accessoires d'écriture luxueux, soignés et bien organisés.
Le principal avantage des Chinois sur d'autres nations réside dans leur maîtrise de l'imprimerie, une technique qu'ils utilisent depuis environ mille six-cent ans, selon leurs historiens. Leur méthode diffère de celle employée en Europe. Au lieu d'utiliser des caractères métalliques, ils gravent les textes sur des planches de bois. Lorsqu'un auteur souhaite publier un livre, il se rend chez un graveur pour spécifier la taille des caractères désirée - grands, petits ou moyens.
En pratique, il remet son manuscrit à l'artisan, qui prépare ses planches à la dimension des feuilles de papier. Ensuite, il fixe les feuilles à l'envers sur ces planches, permettant ainsi au graveur de suivre le texte lors de la gravure sans risquer de traverser le papier, puisque l'écriture n'apparaît que d'un côté. Bien que leurs livres semblent imprimés des deux côtés, c'est parce que les feuilles de papier sont pliées de manière que le côté vierge reste à l'intérieur du pli.
Ils utilisent également des plaques de pierre pour imprimer, mais avec une différence notable : les caractères apparaissent en blanc sur un fond noir. Cela s'explique par le fait que, contrairement aux plaques de bois où l'encre adhère aux parties gravées, sur les plaques de pierre, l'encre se fixe sur les surfaces en relief. Cette technique d'impression est rarement employée, sauf pour les épitaphes, les inscriptions, et les illustrations représentant des arbres, des montagnes et d'autres éléments similaires, que beaucoup souhaitent immortaliser pour la postérité.
Des pierres spécifiques sont utilisées à cet effet, et pour les plaques de bois, le poirier est couramment choisi. L'avantage majeur de ces plaques gravées est leur durabilité : une fois gravées, elles peuvent être réutilisées à volonté pour imprimer de nombreux exemplaires, sans coûts supplémentaires pour de nouvelles éditions, contrairement à ce qui est nécessaire chez nous. De plus, chacun est libre de publier ce qu'il souhaite sans censure ni approbation préalable pour l'impression de ses textes. Et tout cela est réalisé à moindre coût : plus de cent caractères, composés de plusieurs traits comme décrits, peuvent être gravés pour moins de cinq sols.
Fin du chapitre 6
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